L'Histoire d'une différence.
Tu es un garçon de 8 ans. Un dimanche soir, en famille, tu regardes un film qui se moque d'un couple d'hommes. Qu'y a-t-il de si drôle ? Tu deviens un adolescent que l'on insulte : " Sale pédé ! " Tu contemples l'eau noire du canal du Midi, prêt à abandonner. Sur tes épaules, un sac à dos rempli de pierres et ton secret.
Te voilà jeune homme, tenant la main de ton amoureux au risque d'être tabassé, puis père à ton tour. Un médecin révolté, un écrivain qui ne peut plus se taire.
C'est l'histoire d'un homosexuel, aujourd'hui, en France. Son récit nous fait entrer dans sa peau et adopter son regard. Il raconte les préjugés, le harcèlement, la mise à l'écart et les silences qu'il doit affronter. Il y a l'homophobie qui nous révolte et celle que l'on ne soupçonne pas, logée en chacun de nous.
Un grand texte, bouleversant et universel.
Mon avis :
Baptiste Beaulieu est un auteur que j'apprécie. Sa plume, je l'ai beaucoup aimée avec Alors vous ne serez plus jamais triste ou encore, La ballade de l'enfant-gris, deux textes forts en émotions. Ici, il ne nous livre pas un roman, mais un témoignage. Son passé, son presque présent. Etre un petit garçon né au milieu des années 1980 , se savoir homosexuel et devoir vivre au sein d'une société qui frappe, insulte ou tente de faire face à une demande simple : on est tous égaux. Egaux face à l'amour. Egaux face à l'injustice. Egaux face à la parentalité. Egaux face à l'envie de vivre sereinement et pleinement.
Une pointe de récit demeure puisque les pages sont teintées d'expériences. Médecin de profession (médecin le jour et écrivain la nuit, comme c'est écrit sur la quatrième), Baptiste Beaulieu nous raconte son enfance en y incluant ses propres expériences face à l'homophobie. Ce qu'il constate en tant que médecin et en tant qu'homme. Lorsque vient son désir de parentalité, il réalise quels sont les obstacles et le business associé, il nous raconte l'histoire de cet homme - patient - qui tente depuis deux ans d'avoir un enfant avec sa femme. Tous deux se confient l'un à l'autre et se soutiennent. Sans jugement, sans peur. Mais avant cela, il y a eu ces périodes de doutes, ces errances qui le plongeaient dans un monde au cœur duquel il faut trouver sa place.
"Tu es une part de la vérité, et du vivant visage de la diversité des êtres humains. A eux de le comprendre et, peut-être un jour, de le célébrer."
L'une des particularité de ce texte, s'il est un témoignage, c'est sa mise en avant du pronom "tu". En effet, on s'attend à lire un texte écrit à la première personne (logique, pour un témoignage) mais l'utilisation du "tu" est intéressante puisqu'elle permet à Baptiste Beaulieu d'écrire comme s'il portait un regard sur sa vie et en même temps, de ne pas se fondre personnellement dans un texte qui sonne personnel et impersonnel à la fois, le "tu" pouvant être une forme de constat, propre à beaucoup, tant de gens se reconnaitront dans ces pages.
Un autre point qui m'a séduite, c'est le titre des chapitres. Ce texte est un témoignage personnel du parcours de l'auteur. Aussi, on sourit quand on lit les titres des chapitres qu'il prend à l'envers et pousse à la réflexion : en effet, pourquoi classifier les personnes homosexuelles avec des questions absurdes, des questions que l'on ne poserait pas à un hétérosexuel. Vous avez, par exemple : "Etes-vous hétérosexuel à la suite d'une agression sexuelle dans l'enfance ?", "Pensez-vous que les hétérosexuels devraient avoir le droit d'adopter ?", ou encore "Les hétérosexuels n'ont pas besoin de se marier. Pourquoi vouloir absolument avoir le droit de se marier ? Qu'est-ce que ça change ?". Il est vrai que ce type de questions n'a pas sa place dans une société où l'on doit tous être égaux. Mais voilà, il y a encore de vieilles pensées qui demeurent.
J'ai deux enfants (tous deux en primaire) auxquels j'ai toujours dit que l'amour est universel et que l'on peut aimer un homme, une femme ou les deux. Et que jamais je ne les renierais car je n'apprécie pas la personne qu'ils aiment. En même temps, je ne leur cache pas que le monde est difficile dès que l'on sort du moule dessiné par une société bien trop old school. Il faut évoluer et accepter ce que je n'appellerai pas une différence, mais une personne dans son entièreté, avec ses failles, ses prouesses, son caractère, ses qualités. C'est comme lorsque j'entendais parler de mon fils - TDAH - en utilisant le terme de problème. Ca me révolte car différence et problème sont des termes tellement péjoratifs qu'ils sont néfastes. On est certes différents -les bruns, les roux, les grands, les petits, les timides, les audacieux, etc -, mais en quoi cela poserait-il un problème ? Je réponds que non, mon fils n'a pas de problème, mais une force. Une force et un pouvoir de dingue puisque son cerveau carbure à vitesse folle. Etre homosexuel aujourd'hui inclus d'être fort et de se battre pour vivre comme un hétérosexuel. Injuste, non ? Car un hétérosexuel ne doit pas se battre de la même manière pour vivre. Se tenir la main en public, s'embrasser, adopter, être parent, etc. L'orientation sexuelle ne doit entrer en compte dans aucun aspect de la vie. Après tout, comme le souligne Baptiste Beaulieu, il y a des couples hétérosexuels qui sont des parents maltraitants, et à côté, on empêche un couple homosexuel désireux de devenir parents d'adopter... Donc en quoi le sexe des parents est-il important ?
"L'égalité, c'est précisément ce que l'on perd en tant que citoyen selon la main que l'on tient, tandis que le système est cette réalité concrète qui soudain jaillit au coin d'une rue et vous crache à la figure en s'imaginant légitime."
Un récit, un témoignage, extrêmement intimiste. L'auteur ne nous livre pas toute sa vie mais ne nous épargne pas. Il nous permet de plonger dans sa vie et de nous livrer des bribes de son passé, un passé teinté de colères, d'incompréhension, de doutes et aussi, d'acceptation.
Note : 18/20
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