Louise Caron - Se départir

Printemps 2009.

Vingt-deux ans qu'Éléonore avait quitté Paris. Un trait tiré sur son passé. Une rature. Là, dans cet hôpital parisien, devant le corps d'Antoine, relié au monitoring, elle reste muette, certaine d'avoir eu tort de quitter son mas cévenol. Il ne manquait plus qu'une grève des cheminots pour éprouver davantage le temps dans un Paris inhumain qu'elle ne reconnaît pas.

Par bouffées successives, sa douleur remonte. Évocation de sa vie d'avant avec Antoine, avec Léa, et surtout avec son fils disparu.

Après l'accident de Guilhem, sa vie a basculé. Elle s'est murée dans une souffrance destructrice. Léa en a fait les frais. Léa, une femme-enfant, une écorchée vive qui s'interroge sur sa famille, sur l'amour, la vie...

Elle nous entraîne de l'autre côté du miroir. Dans ce récit à deux voix, la réalité est plus étrange qu'il n'y paraît.

 

Mon avis :

 

Un roman qui vous saisit.

 

Pour commencer, un grand merci à son auteur, Louise R. Caron pour cette découverte. Aujourd’hui, le monde de la littérature est sur-envahit, il est normal de passer à côté de certains auteurs. Normal, mais rageant quand on voit qu’une librairie regorge d’auteurs désirant être lus ! C’est pourquoi, j’apprécie énormément de lire un premier roman, je trouve que c’est donner un coup de pouce à un auteur qui ne possède - en général - pas la communication de ceux que l’on trouve en tête des ventes.

 

Se départir est donc le roman que Louise R. Caron a eu la gentillesse de me faire découvrir. Nous sommes en mars 2009, dans un Paris qui alterne entre chaleur et pluie. Un Paris que Eléonore a fui des années auparavant et qu’elle regagne, pour quelques jours, à contre cœur. En effet, elle est là à la demande de sa fille qui lui a annoncé que son père - l’ex-mari d’Eléonore - est sur un lit d’hôpital. Les raisons ? Un accident de voiture. La raison de sa venue ? Il faut le débrancher. Ces quelques jours sont l’occasion pour Eléonore de se remémorer son passé avec cet homme mais aussi de se prouver à elle-même qu’elle est encore une femme, une femme séduisante. Dans ce Paris qu’elle n’aime pas, elle va y faire des rencontres. Notamment revoir sa fille Léa qu’elle n’a pas vue depuis deux ans. Mais les relations tendues vont les empêcher de communiquer et l’envie de se faire du mal est la plus forte. Elles se séparent sans que rien ne soit dit oralement. Seulement, les non-dits, les secrets, vont devoir se mettre à jour… Quitte à faire mal, quitte à se révéler.

 

Le roman est divisé en deux parties : Eléonore et Léa. La première est la narration, du point de vue d’Eléonore, de son séjour à Paris. Ses rencontres, ses doutes, mais surtout, ses blessures qui remontent un peu plus chaque jour qui passe, chaque jour qui l’oblige à se remémorer ses douleurs. Revoir Antoine, cet homme qu’elle a failli tuer un jour ravive une souffrance qu’elle a cloisonné pendant plus de vingt ans. La seconde, c’est l’avant/l’après du point de vue de Léa. Une confession. Certainement la partie la plus intéressante ! Elle est surtout celle qui permet d’éclaircir certains faits, c’est de ce point de vue-là qu’elle est plus intéressante. Léa, nous la retrouvons deux mois après le séjour de sa mère à Paris. Avant qu’elle ne parte, elle a pris soin de lui laisser une lettre contenant de quoi la blesser sérieusement. Mais Léa a reçu une réponse de sa mère à cette lettre, une réponse qu’à mon avis, elle n’attendait pas ; de ce fait, elle décide de lui répondre à son tour, mais plus que ça, elle va lui confesser ses réponses via un enregistrement. Pour le coup, nous lecteurs comprenons mieux les pourquoi. Léa est prisonnière de la vie qu’elle s’est bâtie et tient là l’occasion de la mettre à jour.

 

Des deux personnages, Léa est pour moi le plus riche. Et pourtant, bien moins abordé que sa mère ! Mais, la complexité qui se révèle à la lecture de sa partie la rend plus mystérieuse et plus captivante si l’on repense aux scènes précédentes. Sa mère, Eléonore, est elle aussi intéressante de par sa souffrance : murée dans un silence depuis la mort de son fils aîné, mort dont elle tient Antoine, son mari, pour responsable, elle sait qu’à la suite de cette perte, elle a rejeté sa fille. Aujourd’hui, elle doute d’elle, elle ne fait pas confiance aux gens et met en avant un côté un tantinet agressif. Mais bon, j’ai envie de dire que son attitude est normale. Celle de Léa cependant, est un résultat normal lui aussi, mais instillé par le manque d’amour et le doute qui la berce depuis sa plus tendre enfance (une conversation entendue lorsqu’elle avait 5 ans). On l’apprend, Léa souffre de différentes façons. Elle a surtout un penchant possessif et machiavélique. Avec cette confession, elle veut tout mettre à plat avec sa mère. Pour mieux repartir ?

 

Comme le dit Louise R. Caron, "Si on reprend le même incident et que l'on demande à chacun de refaire le récit, on tombe dans le mythe, les choses sont enjolivées ou dramatisées, on aura moins de détails sur le concret et davantage sur les sensations." Et c’est tout à fait vrai ! Pour un évènement, chaque personne aura son propre souvenir ; chaque petit souvenir peut reconstituer une scène. Ici, Léa a décidé de se construire ses propres souvenirs. Elle a trop souffert et a porté cette souffrance des années durant, se sentant responsable de ce qui est arrivé par le passé. Elle s’est forgé une carapace, un monde dans lequel elle se sent bien. Et si l’on pouvait penser que le sujet principal de Se départir était le travail du deuil qui peut durer des années, il serait juste de préciser que la fabulation l’est tout autant. Cette capacité à se construire un monde - à défaut d’être idéal - agréable qui tient éloigné les mauvaises choses.

 

Se départir est très bien écrit. L’auteure a une plume aiguisée qui permet de mettre les mots justes sur les sentiments, les sensations. Elle sait retranscrire ce que ressentent ses personnages, si bien que l’on arrive presque à se mettre à leurs places. Les phrases courtes donnent un rythme rapide au récit. Maîtrisée, cette capacité à écrire des phrases brèves évite au roman de se lire de façon hachée. Ici, l’auteure joue avec ce rythme tout au long du roman et donne ainsi l’impression que nous sommes dans l’attente perpétuelle d’une révélation ; attente accentuée par les quelques ellipses placées ici et là. Un dernier point sur la précision des lieux qui ont le mérite de nous permettre de bien les visualiser. Petit avantage si l’on connait les régions citées !

 

Un très bon roman qui mérite d’être lu !

 

Note : 16/20

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