Carl Aderhold - Mort aux cons

Contrairement à l'idée répandue, les cons ne sont pas réformables ; les campagnes de prévention ou les actions pédagogiques n'ont pas de prise sur eux. Une seule chose peut les amener non pas à changer, mais du moins à se tenir tranquille : la peur. Je veux qu'ils sachent que je les surveille et que le temps de l'impunité est révolu. Je compte à mon actif cent quarante meurtres de cons. Afin qu'ils ne soient pas morts pour rien, je vous enjoins de lire ce manifeste. Il explique le sens véritable de mon combat.  

Qui n'a jamais rêvé de tuer son voisin le dimanche matin quand il vous réveille à coups de perceuse? Ou d'envoyer dans le décor l'automobiliste qui vous serre de trop près? Le héros de cette histoire, lui, a décidé un jour de passer à l'action.

 

Mon avis :

 

Dès les premières pages, nous sommes assurés d’une chose : les cons sont parmi nous. Tantôt discrets, tantôt bruyants, ils finissent toujours pas se révéler et montrer à la face du monde ce qu’ils sont vraiment. Dès lors, on ne peut douter de cette vérité : ils nous entourent.

 

Tout commence par un petit meurtre : celui d’une chatte, un soir d’été. Seulement, ce qu’il pensait n’être qu’anodin, une folie passagère, va prendre une autre dimension quand il s’apercevra que cet évènement va engendrer une modification des relations entre voisins : "Si grâce à cet évènement non seulement chacun se saluait, mais échangeait quelques mots, se rendait de menus services et venait aux nouvelles lorsque l’un d’entre nous dérogeait à ses habitudes, on pouvait logiquement supposer que cela produirait un effet dix fois plus fort, dix fois plus bénéfique encore si l’on s’attaquait non plus à un immeuble, mais à tout un quartier, voire à toute une ville." La machine est lancée, il s’attaque aux animaux. Heureux, il constate que le lien social qui n’existait plus a repris vie. Seulement, il se rend rapidement compte que le problème ne vient pas des animaux, mais de leurs maîtres et de leurs comportements. Commence alors la chasse aux beaufs, aux égoïstes, …

 

Et ils vont être nombreux à connaître un mauvais sort. Toutes les raisons seront bonnes : un voisin trop arrogant, une voisine trop curieuse ou encore un voisin trop bruyant. Au fil des mois, il affine sa théorie du "Tuer pour tuer, mais pourquoi et qui ?". C’est une collègue qui le met sur la voie : les cons. Le problème des cons, c’est qu’ils ont cette tendance à nous pourrir la vie. C’est en faisant ce constat que notre héros décide de se lancer dans la chasse aux cons. A plus d’une reprise, il semble ne pas connaître de limites et n’est satisfait que lorsqu’il fait disparaître celui qu’il juge con. Un état non guérissable. Une fois la révélation faite, il se plonge corps et âme dans sa quête, mais surtout dans sa définition du con : "Je m’attelai au recensement des signes de connerie." La suite du roman, c’est l’approfondissement de sa thèse, chaque jour plus précise ("Concrètement, la démarcation était beaucoup plus difficile à tracer au quotidien entre les casse-pieds et les vrais ennemis."), parfois à améliorer, mais toujours définitive : tuer les cons. Tâche qui devient prioritaire quand il réalise qu’une grande partie de sa vie est perdue : "Si l’on cumule tout ce temps passé chaque jour à lutter contre les cons, au boulot ou ailleurs, vous arrivez, à raison de deux heures par jour en moyenne, et en admettant que vous vivrez à peu près soixante-dix ans, au total faramineux de 50 960 heures, soit grosso modo, un quart de votre vie active. Un quart ! Qui part ainsi en fumée !".

 

Tout se passe bien, si je puis-dire, jusqu’à ce que la police s’approche d’un peu trop près de lui. Et étrangement, il fait ami-ami avec le flic nommé Marie. Ensemble, ils vont même jusqu’à approfondir le problème : "Le con joint, qui partage la vie de l’autre et finit par lui pourrir ; le con sanguin, qui s’énerve pour un oui ou pour un non (…) ; le con fraternel, celui qui vous prend en affection et ne vous lâche plus (…) ; le con disciple, celui qui a trouvé un maître (…) ; le con citoyen, qui trie ses ordures avec méticulosité (…)." S’il aime faire part de ses idées à Marie, jamais notre héros ne lui avouera le but ultime de ses réflexions (en réalité, le seul à l’avoir su, c’est son psy, qu’il a tué). Son amitié avec un flic ne l’empêche pas de continuer sa lutte. Et pourtant, l’étau va se resserrer. Au moment où il découvre une nouvelle théorie du con: "Le con n’assume pas… Il évacue les conséquences de son geste… C’est-à-dire l’autre. La victime de sa connerie. (…) La connerie, c’est la disparition, non, la destruction, la négation des valeurs morales fondamentales." Marie vient le voir et lui annonce qu’il sait tout. Il a tout compris. Paniqué, il l’abat. Et entre ainsi dans la catégorie qu’il s’efforce d’éradiquer depuis deux ans : "Pour la première fois de ma vie, j’avais tué un homme, pas par conviction. Juste pour me défendre. J’avais tué comme un con qui se sent trahi. Comme un con qui veut échapper à la prison. J’étais un meurtrier."

 

Mort aux cons se lit très bien. On est séduits par l’idée principale pour une raison simple et évidente: on a tous eu envie, au moins une fois, de faire du mal à une personne que l’on qualifierait de con. Inutile de se mentir, c’est dans la nature humaine. Si bien que l’on suit avec plaisir ce héros (jamais nommé) sur le chemin de l’éradication des cons. Sorte de représentant de toutes nos misères journalières, on sourit et on rit en lisant certaines de ces réflexions :"La plupart du temps, nous en sommes réduits à subir. Pourtant nous savons qu’il existe une solution radicale qui réglerait le problème de façon définitive."

 

La dérision dont fait preuve l’auteur au travers de son personnage frôle parfois la critique de la nature humaine. Il critique, c’est sûr, mais avec une pointe d’humour qui adoucit notre jugement.  Dans ce roman, j’ai aimé la crédulité avec laquelle le héros mène son projet. Comme si c’était simple; à la portée de tous. Résultat, certains meurtres sont à la frontière de la trop grande facilité et d’un amateurisme qui fait froid dans le dos. Notons aussi la naïveté - ou l’inconscience - de Marie qui sait qu’il se rend chez un tueur, mais vient sans protection. J’ai aussi accroché sur le style d’écriture de Carl Aderhold qui se veut franc, simple, direct mais surtout, emplit d’un humour discret mais moqueur, voire sarcastique par moment. La mise en place du texte est aussi très sympa : dans la mesure où il s’agit d’un manifeste, il est présenté point par point : 1., 2., 3., … Je dois dire que c’est la première fois que je vois ça, et bien que surprenant, on adhère complètement puisque c’est en accord complet avec l’idée de base. Au total, nous avons 141 points, pour 140 victimes. Que je rassure, chaque point ne relate pas un meurtre !

 

On sourit aussi à la petite allusion à l’ancien président Sarkozy quand notre héros suit un ministre qui se rend dans un village dans lequel trois cadavres d’oies sauvages ont été découverts ; en pleine période de la grippe aviaire, ce ministre ce doit d’être sur le terrain et rassure les villageois : "Vous en avez marre de toute cette volaille ? (…) Eh bien on va vous en débarrasser ! J’ai déjà pris la décision de faire nettoyer entièrement le village au Kärcher pour éviter tout risque potentiel." Subtile allusion humoristique, certes, mais qui met en avant, selon moi, une critique "ouverte" d’un comportement qui fut vivement critiqué. Le fait que, dans mon esprit, cette phrase soit automatiquement liée à Sarkozy prouve que les mots ont choqué l’opinion publique.

 

En fait, ma seule note négative, c’est la lenteur, ou plutôt le flottement lorsqu’il suit des hommes en vue d’un article. Ces quelques pages m’ont un peu lassée, j’avais l’impression de ne plus être dans le même rythme et avais la sensation de décrocher.

 

Pour conclure, je dirais que Mort aux cons est un excellent roman. J’ai déjà lu Les poissons ne connaissent pas l’adultère (je vais d’ailleurs bientôt le relire !), Mort aux cons est tout aussi décalé et amusant. Un vrai plaisir littéraire.

 

Note : 15/20

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Commentaires: 2
  • #1

    Lybertaire (mardi, 29 mars 2016)

    (commentaire du 02 avril 2014, 14h36)
    Ce titre-là me disait bien au moment de sa sortie en grand format !

  • #2

    Les Mots de Gwen (mardi, 29 mars 2016 16:08)

    (commentaire du 02 avril 2014, 14h39)
    Le titre est osé! Une lecture très agréable à découvrir :)