Karine Tuil - L'invention de nos vies

Sam Tahar semble tout avoir : la puissance et la gloire au barreau de New York, la fortune et la célébrité médiatique, un «beau mariage»…

Mais sa réussite repose sur une imposture. Pour se fabriquer une autre identité en Amérique, il a emprunté les origines juives de son meilleur ami Samuel, écrivain raté qui sombre lentement dans une banlieue française sous tension.

Vingt ans plus tôt, la sublime Nina était restée par pitié aux côtés du plus faible. Mais si c’était à refaire ? À mi-vie, ces trois comètes se rencontrent à nouveau, et c’est la déflagration… «Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir» dit un proverbe qu’illustre ce roman d’une puissance et d’une habileté hors du commun, où la petite histoire d’un triangle amoureux percute avec violence la grande Histoire de notre début de siècle.

 

Mon avis :

 

L’invention de nos vies ou comment le mensonge peut nous construire et nous détruire.

 

Samuel et Nina, deux étudiants de 20 ans, amoureux depuis plus d’un an, rencontrent Samir. Une amitié sincère scelle le trio jusqu’à ce que Samuel doive s’absenter pour aller enterrer ses parents en terre juive. Un laps de temps court mais suffisant pour permettre à Nina et Samir de tomber amoureux comme jamais. Seulement, Samuel revient et Nina choisi de rester avec lui, plus pour sa fragilité que par amour. Dépité, Samir s’enfuit. Vingt ans plus tard, Nina et Samuel voient Samir à la télévision : il est devenu un brillant avocat new yorkais qui semble réussir tout ce qu’il entreprend. Curiosité malsaine peut-être, Nina et Samuel découvrent sur internet que Samir a modifié, inventé son passé. Malgré tout, la tentation est trop grande et Samuel demande à Nina de l’appeler pour lui fixer un rendez-vous. Un simple rendez-vous, loin d’être anodin…

 

L’invention de nos vies est un pavé de quasiment 500 pages qui vous tient en haleine et ce, jusqu’à la dernière page. En prenant pour thème le mensonge, mais surtout la trahison envers soi-même, Karine Tuil pose une question toute simple : pouvons-nous réinventer notre vie ? Et si oui, est-ce une réelle nouvelle chance ou bien une réelle illusion du bonheur ? Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une duperie, mais l’intérêt (en partie) de la lecture réside dans le fait de savoir pourquoi Samir a-t-il fait ça ? Et quand vient la réponse, on se dit qu’il a sûrement eu raison de mentir une première fois. Mais un petit mensonge, même anodin, en entraîne un autre, et encore un autre, ainsi de suite jusqu’à ce que sa vie entière soit bâtie sur le mensonge. Malgré cela, il parvient à s’en sortir, s’oublie dans le sexe avec d’autres femmes, renie devant autrui sa vraie famille et se consacre à son travail, ce par quoi il est arrivé là où il se trouve. Jusqu’à ce que tout éclate… Une inattention et son monde n’est plus ce qu’il a connu.

 

En plus de poser le problème de l’identité et du mensonge, Karine Tuil accorde à la violence - sous toutes ses formes - une place de choix. Qu’il s’agisse d’une chanson, de racisme, de destruction de soi ou encore lors d’un enfermement, la violence est partout. Mais aussi dans l’écriture. Et c’est ce qui fait que les premières pages ont été difficiles tant le style est direct, sec et franc. En lisant Karine Tuil, on sent une certaine rage contenue dans ses mots, une rage qu’elle doit laisser exploser et pour se faire, joue avec les slash, comme pour nous laisser à nous lecteur, le choix du meilleur mot, tous étant valables à ses yeux : "(…) comme s’il était l’otage de ses obsessions, de son propre corps qui désire posséder/jouir/désirer sans entraves (…)." A cela, je rajoute que son rythme est soutenu grâce à des phrases parfois longues ; et c’est peut-être un paradoxe, mais la longueur des phrases nous entraîne toujours à poursuivre, et nous saisit car dans une simple phrase, elle peut déverser quantité d’émotions. Sans oublier la mise en page de certains dialogues : pas de retour à la ligne, ils s’enchaînent, ponctués seulement de guillemets, tels des phrases de descriptions ; cela donne une impression d’urgence qui permet au récit de conserver un rythme plus que soutenu. Vous l’avez compris, pas de temps mort, même quand Karine Tuil prend le temps de décrire en long et en large les personnages secondaires, mais aussi quand elle ajoute des notes en bas de pages après avoir cité un prénom : "X s’appelait en réalité Mouna César. Fille d’ouvriers métallurgistes, elle s’inventait des origines aristocratiques.", une façon subtile de nous rappeler que Samir n’est pas le seul à vivre dans le mensonge, chacun aime réinventer un peu sa vie. Malheureusement, tous ceux qu’elle cite ont raté le coche, les rêves de réussite et de gloire s’étiolent avec les années qui passent.

 

Les personnages - aussi nombreux soient-ils - sont tantôt attachants, tantôt agaçants et même parfois incompréhensibles ! Si nous suivons essentiellement la vie de Samir, celle de Nina, dont la seule qualité semble être sa beauté, est assez triste, voire pathétique ; celle de Samuel, écrivain raté qui finira par connaître le succès est tout aussi pathétique, surtout parce qu’il croit que l’argent achète les femmes et le bonheur. Il a vu le succès de Samir, il se dit qu’il peut en être de même pour lui. Erreur !

 

L’invention de nos vies est donc un très bon roman. Le sujet est extrêmement intéressant et nous fait réfléchir sur la part de mensonge qui nous entoure. Mais il nous fait aussi nous interroger sur une chose : jusqu’où sommes-nous capables d’aller pour réussir ?

 

Merci aux Editions Grasset

 

Note : 18/20

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Commentaires: 5
  • #1

    le livre-vie (mercredi, 30 mars 2016 21:23)

    (commentaire du 15 septembre 2013, 12h31)
    Merci beaucoup pour cette chronique! Ce livre me tente depuis sa sortie, mais je n'ai pas osé l'acheter. Ce sera chose faite dès la semaine prochaine, je suis rassurée!

  • #2

    Les Mots de Gwen (mercredi, 30 mars 2016 21:23)

    (commentaire du 15 septembre 2013, 12h35)
    J'attends ton avis avec impatience :)
    Bonne lecture !

  • #3

    sylire (mercredi, 30 mars 2016 21:24)

    (commentaire du 15 septembre 2013, 20h00)
    J'ai passé un bon moment avec ce livre mais je l'ai lu davantage comme un thriller que comme un livre qui donne à réfléchir, je l'avoue. L'histoire est un peu trop rocambolesque par moments pour être crédible, je trouve.

  • #4

    DaisyLusion (mercredi, 30 mars 2016 21:24)

    (commentaire du 16 septembre 2013, 15h10)
    Coucou,
    Merci beaucoup pour ton article très complet, j'aime beaucoup la façon dont tu écris les choses.
    C'est très intéressant, ce livre peut, peut-être m'intéresser, je le note.
    Bisous

  • #5

    Les Mots de Gwen (mercredi, 30 mars 2016 21:25)

    (commentaire du 17 septembre 2013, 17h26)
    Merci à toi pour ton commentaire! Une atmosphère particulière, mais intéressante de par le rythme! Bonne lecture si tu te laisses tenter
    Bisous!