"C'est combien ?", première phrase demandée à une pute. Avec C'est combien?, découvrez jusqu'où l'homme peut aller. Rien n'est laissé au hasard, depuis les comportements des clients, les prestations les plus insolites, la force de la destruction, l'argent qui brûle, l'abandon de soi, mais aussi, le sacrifice, la sagesse et l'exaltation de la vie. Avec une poésie déconcertante, C'est combien? ose montrer des situations extrêmes, la pute se trouve écartelée entre deux forces : l'argent et le sexe.
Mon avis :
Anne Calife et les Editions The Menthol House m'ont a nouveau fait confiance et je les remercie beaucoup. C'est avec plaisir que je découvre ce roman d'Anne Calife, une auteure dont j'apprécie la plume incisive, directe, brute.
C'est combien? c'est l'histoire de cette jeune fille innocente, Natacha, un surnom sexy, qui attire et promet de l'exotisme. A 18 ans, elle est embauchée comme hôtesse dans un bar à la limite de la frontière belge; sa seule tâche: faire boire les clients. Rapidement, elle voit les autres filles monter avec des hommes et se rend compte du ridicule qu'elle renvoie. Elle décide alors de franchir le pas. Si elle a compris que pour gagner plus, il fallait aller plus loin que poser un verre sur le comptoir, elle n'a certainement pas imaginé le tourbillon qui allait l'emporter et l'entraîner dans une spirale infernale qui en demande toujours plus. Natacha ne se contente pas d'être hôtesse de bar, elle s'émancipe et se met à son compte, organise son appartement pour recevoir les hommes dans une chambre qui n'est pas celle dans laquelle elle dort, elle peut se permettre de bosser ou pas, de choisir celui qui montera chez elle, ... Tout aussi rapidement qu'elle a compris que le sexe amenait l'argent, elle a compris qu'elle était maîtresse de sa vie. Mais ça, c'était un leurre.
"Franchement, ça paraît incroyable de pouvoir imaginer qu'une femme écarte les cuisses avec tous ces inconnus parce qu'elle ça, les hommes sont tellement faibles, tellement besoin de croire au pouvoir de leur entrejambe."
Selon moi, la force première du récit tient dans le fait que ce roman qui frôle le témoignage - la frontière est mince quand on sait que la prostitution existe et que cette histoire est sûrement celle de femmes réelles - est écrit sans jugement. Pas une seule fois Anne Calife ne critique le choix de la prostitution au travers du personnage. Au contraire, les mots sont brutes et sans empathie, ce qui rend le récit troublant, triste et parfois glauque. Dès le départ, on comprend que l’appât du gain est le moteur de Natacha. Le titre met en avant cette ligne rouge du récit: l'argent. Natacha ne se prostitue pas car elle aime le sexe mais parce qu'elle doit vivre et manger. Elle a conscience que c'est un travail comme un autre, ne prend aucun plaisir à écarter les cuisses et organise ses clients selon différentes catégories, se moque intérieurement de ceux qui pensent qu'elle aime ça. Le sexe pratiqué par une prostituée donne l'impression de la dégoûter par moment. Pour palier à ce sentiment, elle parvient à se détacher d'elle-même pendant l'acte, à subir les assauts de l'homme en attendant la fin.
Natacha, au travers de ses mots, désacralise le métier de prostituée. Si certains pensaient qu'être une prostituée était sexy, Natacha nous prouve le contraire et même si c'est sa version, je pense qu'elle s'applique à beaucoup d'autres femmes.
"Me plaindre, pourquoi? Ma vie vaut mieux que la tienne. En une journée, je rassemble ce que tu peux gagner en un mois. L'argent tournoie autour de moi, comme la terre aimantée par le soleil. L'argent m'éblouit, l'argent m'aveugle. J'échange du plaisir qui n'est pas le mien, contre d'autres plaisirs, plus grands plus forts qui m'appartiennent complètement. C'est mon argent, mon pain de fesses à moi, rien qu'à moi. Je le mange sans en laisser une miette, mon pain de fesses."
Je le disais précédemment, Natacha, pour plus de liberté, s'est organisée seule. Mais est-elle libre pour autant? Je ne le pense pas. Car finalement, l'argent brassé par la prostitution l'oblige à rester dans ce milieu et la contraint à ne jamais tomber amoureuse. Le sexe, pour elle, c'est un boulot, comment imaginer le pratiquer par amour ? Elle reste seule dans son appartement, sans autre compagnie que ses poissons. En tombant dans le cercle de la prostitution, elle s'est isolée et enfermée dans un univers dont elle ne peut sortir puisqu'aucun boulot ne rapporte autant en si peu de temps.
Un récit brut, sans pathos, qui met en lumière le milieu de la prostitution et de son impact sur la femme.
Note : 18/20
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