De la guerre, de la déportation et de la mort de ses proches, Boris, le grand-père de la narratrice, n’a jamais parlé. Autour de lui chacun savait, mais, dans l’appartement du 30, rue de Leningrad, que tout le monde appelait «le 30», le sujet n’était jamais évoqué.
Et puis Boris est mort. La jeune femme a vécu un moment au 30, en attendant que l’appartement soit vendu, elle avait vingt ans, et elle a cédé à une bibliothèque les livres en russe et en yiddish de son grand-père. Plus personne ne parlait ces langues dans la famille.
Ce n’est que dix ans plus tard, au moment de devenir mère, que s’est imposé à elle le besoin de combler ce vide et de reprendre le récit familial là où il avait été interrompu. Moins pour reconstituer le drame que pour réinventer des vies. Retrouver les rues de Paris autrefois populaires où vivaient Rosa, la sœur de Boris, avec sa fille Lena, déportées en 1942 ; voir ce village lointain d’où son grand-père était parti pour se créer un avenir qu’il espérait meilleur ; entendre couler cette rivière d’Ukraine sur laquelle, enfant, il patinait l’hiver. Comprendre où ils vécurent et furent assassinés.
Alors elle cherche, fouille, interroge, voyage, croisant la mort à chaque pas dans son étrange entreprise de rendre la vie à ces spectres. C’est une quête insensée, perdue d’avance, mais fondamentale : celle d’une identité paradoxale qu’il lui faut affirmer.
Mon avis :
Avant de vous présenter ce très beau livre, je tiens à remercier les Éditions Fayard pour leur confiance.
Appartenir m'a donné envie de le découvrir car il aborde un sujet qui m’intéresse et aussi parce que, pour une fois, nous n'avions pas là un roman avec une histoire sortie tout droit de l'imagination d'un auteur, mais un livre-document qui nous livre le parcours d'une femme qui cherche des réponses à des questions trop longtemps restées muettes.
C'est certainement le fait de devenir mère qui a entraîné Séverine vers cette quête, ce besoin de savoir et de comprendre. Boris, son grand-père, n'a jamais confié quoi que ce soit sur son passé, ou seulement quelques bribes qui obligent Séverine a broder autour de ces quelques souvenirs. Une photo, un document, et la voilà partie en Ukraine sur les traces de sa famille exterminée lors de la Seconde Guerre Mondiale. Au fil de ses recherches préalables aux archives ou autre, elle découvre et en apprend davantage sur les membres de la famille de Boris. Une quête, une enquête, très émouvante, très triste aussi.
"Prise en étau entre ma vie et leur mort. Je me sens responsable de l'oubli qui les ensevelit une seconde fois."
Cette lecture fut à la fois facile et pas facile. Facile car les chapitres sont pour la plupart assez courts, l'écriture est fluide, les termes directs; mais pas facile car il faut revenir sur un passé et faire face à la mort. J'ai apprécié que l'on ne tombe pas dans le trop triste. Certes, le voyage de Séverine n'est pas un bonheur total, mais elle a mis sur papier ses sentiments purs, ses réflexions, et je dois admettre que le fait qu'elle n'ait pas brodé en long en large en travers sur le fait était très appréciable. Non, elle a juste retranscrit ses émotions, son ressenti, ses espoirs aussi.
"Comment dire à ses enfants que ses parents, ses frères et sœurs, ses neveux et ses amis ont été assassinés devant la fosse qu'ils ont creusé. Que sa jeune sœur, son mari et leur fille de deux ans sont partis en fumée. Comment arriver déjà à se le dire à soi-même sans se dérober. Comment faire face?"
Certains passages sont malgré tout assez choquants. Même si j'ai lu beaucoup de livres sur cette guerre et qu'au lycée on nous en parle pendant trois ans, on ne peut rester insensible face à ces quelques mots:
"26 758 personnes sont mortes ici. Les massacres ont duré trois jours et ne cessaient pas à la nuit tombée, où la fosse était éclairée par les phares des camions et des projecteurs. Ces sont les hommes juifs qui ont creusé cette fosse de 150 mètres de long par 6 mètres de large."
Ce que je trouve malgré tout superbe dans cette histoire c'est que Séverine ait pu retrouver des traces des siens. On pourrait penser que rien n'aurait résisté aux bombardements, au temps qui passe, mais non, Séverine retrouve des bouts de papier, des petites informations qui ne permettent certes pas de savoir ce qui s'est passé avec exactitude, mais cela donne des pistes. Et je trouve ça beau car finalement, tout le monde ne peut pas remonter le temps de cette façon et là, je parle pour moi qui au-delà de mes grands-parents maternel n'a pas vraiment la possibilité de remonter le temps.
"Passant lis leur nom, ta mémoire est leur unique sépulture."
Un document poignant mais sincère et plus que vrai. Un dernier point sur la couverture qui est tout simplement superbe puisqu'on y voit en couleur le profil d'une femme qui est assise mais aussi le profil d'un visage qui regarde vers le ciel. Cette association met en évidence le sentiment d'appartenance, être ancré l'un dans l'autre, car finalement, c'est notre passé qui fait que nous sommes ce que nous sommes aujourd'hui. Le passé et le présent sont indissociables.
Note : 17/20
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Bobdu33 (mardi, 29 mars 2016 17:11)
(commentaire du 16 septembre 2015, 18h13)
Bonjour, j'aurai aimé partager votre enthousiasme pour ce livre que j'ai eu à lire dans le cadre d'un jury de prix littéraire. Hélas je n'y ai vu qu'une quête personnelle et obsessionnelle faite au détriment de son présent et de son futur. Il est formidable de pourvoir être publiée avec un texte aussi peu intéressant alors que sur le même sujet ont été écrits ou filmés des chefs-d'oeuvre de subtilité émotionnelle et d'intérêt historique, je serais curieux de lire les manuscrits qui ont été rejetés aux dépens du sien, comme dirait le philosophe Vin Diesel "Faut pas d'mander les autres".
Les Mots de Gwen (mardi, 29 mars 2016 17:11)
(commentaire du 17 septembre 2015, 17h01)
Je suis d'accord avec vous, parfois certains livres publiés me font me poser cette question: pourquoi lui? En soi, il n'apporte rien, ne me séduit pas, ne m'entraîne pas dans son histoire. Mais bon, je me dis aussi qu'il en faut pour tout le monde et un livre ne peut pas plaire à tous. Je vous rejoins sur l'idée de quête obsessionnelle et personnelle, cependant, je pense que chacun réagit différemment et certaines personnes désirent en savoir plus sur leur passé, d'autres préfèrent se concentrer sur leur futur, c'est selon. En réalité, cela concerne ses origines et comme je pense que l'on est ce que l'on est grâce (ou à cause!) de notre passé et donc de nos origines, je ne peux que comprendre l'auteur et ce d'autant plus que, comme je le mentionne dans ma chronique, certaines personnes ne peuvent pas en savoir autant. J'espère que vous avez pu lire d'autres livres plus captivants dans le cadre du prix littéraire que vous mentionnez?! Merci pour votre passage, c'est toujours agréable d'avoir des échanges sur un roman, encore plus lorsque les sentiments divergent :)