Murielle Renault - A qui le tour ?

On mène sa vie, soit toute calme et sagement rectiligne, sans tangage ni trompette, soit bien foldingue, dure ou difficile, quand soudain, brusque, effrénée, la chance dévaste tout, ne laisse rien debout. Le doigt de Dieu vient de vous toucher, bagué de toute une série de zéros, ceux d’un gros, très gros lot du loto.

Dès lors, il faut gérer vertiges et frénésies : tout devient possible. Une catastrophe dorée, c’est ce que vivent les cinq héros de Murielle Renault : Chantal, employée de préfecture ; Bruno, SDF ; Capucine, jeune fille moderne ; Roger, retraité ; Carine, la meuf à Tony.

Le quintette redoublé des amis et conjoints se retrouve au Ritz, assemblé là par la Française des Jeux, pour un round d’observation. Démarre ensuite le parcours du gros gagnant : gestion, patrimoine, placement. On investit dans la pierre, on dépense du kilomètre, on écoule du grand cru, et surtout on endure l’autre, le proche, l’ami, l’amant, l’enfant. Chantal tente de faire digue face à cette crue de félicité en invitant la brochette d’élus. Rien n’y fait. Et tout dégénère. Après tout, ça vaut sans doute mieux. La chance, comme le diable biblique, « rôde, cherchant qui dévorer ». À qui le tour ?

 

Mon avis :

 

A qui le tour ?: un vrai moment de plaisir grâce aux Editions Le Dilettante : un grand merci !!

 

Nous avons donc les cinq gagnants du trimestre ; cinq personnes dont chaque profil est différent. Tous les cinq ont gagné, mais tous les cinq n’ont pas joué. Au fil des pages, nous les suivons aussi bien dans leurs moments de plaisir que dans la difficulté. Au début, c’est magnifique. Après tout, se retrouver millionnaire du jour au lendemain, ça a de quoi rendre la vie meilleure. Tous les cinq, accompagnés de la famille et des amis, se retrouvent pour un séjour organisé par Chantal. Un séjour qui tourne au drame lorsque l’un d’eux trouve la mort… Et ce n’est qu’un début… !

 

A qui le tour ? m’a énormément plu. Tout d’abord, le titre : slogan de la Française des Jeux, on comprend qu’il ne sous-entend pas "A qui le tour pour gagner le gros lot ?" - dans la mesure où les gagnants sont présents dès le début - mais laisse supposer une évolution dramatique, quelque chose qui arrivera à nos protagonistes, à tour de rôle. Cette façon de détourner ce slogan est amusante et on peut le dire une fois le livre refermé: osée. Ensuite, le sujet traité : gagner au loto, le rêve de beaucoup. Mais ce qui m’a séduite, ce n’est pas le simple fait que l’auteur ait abordé le fait de gagner, mais la façon dont l’argent modifie les comportements envers soi et envers autrui selon le caractère de chacun. Comme je le disais précédemment, les cinq gagnants ont tous des caractères différents ; et l’argent aura un impact différent sur chacun. Pour ne pas trop en dire, je citerais ceci : "Quand on n’a pas d’argent, on peut prétendre que c’est à cause de ça qu’on n’est pas heureux, mais une fois qu’on en a ? Plus d’excuses ! Et si alors on n’est pas heureux, c’est qu’on est un zéro, vous comprenez ? (…) Il n’arrivait pas à être heureux."

 

La tournure est aussi très intéressante. Elle a un petit côté Les dix petits nègres d’Agatha Christie. Avec A qui le tour ? nous commençons une comédie, une comédie qui se teinte parfois d’une pointe de drame. Une comédie qui donne à réfléchir sur le sens de l’argent dans nos vies. Tout le monde s’est dit - au moins une fois - "Si j’étais riche, je ferais…" ; seulement, à la lecture du roman, on peut se demander si l’argent est réellement nécessaire au bonheur. Comme le dit Chantal : "Ce n’est pas marrant d’être riche tout seul." L’auteure ayant mis en scène cinq gagnants auxquels s’ajoutent les conjoints/amis/famille (bref, tous ceux ayant un lien avec le gagnant), chaque lecteur pourra s’identifier à l’un ou à l’autre. Et c’est là l’une des qualités du roman : des personnalités si variées que l’une d’elle correspondra - au moins un peu - à son lecteur. Alors, suis-je plutôt Capucine la voleuse ? Ou Chantal qui vire névrosée ? Pour faciliter cette identification, l’auteure jongle avec les narrateurs : tantôt Chantal, tantôt Tony, et ainsi de suite. Chacun nous relate ses impressions, sa vie. Comme si l'auteure l'avait fait volontairement afin que l'on s'interroge.

 

En dressant le portrait de ces personnages, Murielle Renault nous offre une vision bien pessimiste de la vie des nouveaux riches. Mais surtout une critique de la société qui est davantage gouvernée par l’argent que par les sentiments. Ceci dit, si un compliment pouvait annuler la dette d’un pays, ce serait magnifique ! L’argent domine, l’argent gouverne. Il est le fil rouge de la vie et telle une drogue, agit sur l’esprit de l’homme. Murielle Renault dénonce en réalité les dérives de ce monde qu’est la loterie. Si tout est réglo au début (entretiens, exposés sur les placements), on se rend compte que la FDJ ne suit pas ses gagnants sur le long terme. Et c’est très habilement que l’auteur en fait le constat. Des critiques presque cachées tant le style de l’auteure se veut léger, détaché, observateur. A ce propos, j’aime beaucoup son style d’écriture que je qualifierais en partie décalé : elle écrit comme on parle, ce qui peut surprendre de prime abord mais on s’y habitue très vite ! Je ne connaissais pas du tout cet auteure et suis à présent sous le charme ! Une plume aussi agréable qu’incisive, j’adore !

 

Note : 17/20

Coup de cœur !

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