"C'est le petit matin. Nous sommes dans son lit. J'observe sa chambre ; la lumière conquiert l'espace, sort les objets de l'obscurité. Sur la table, un Notebook, des disques éparpillés. Partout, des pinceaux, des couleurs et des toiles. Comme meubles, il y a : une table, une paire de fauteuils, une chaise pliante, une armoire. Des étagères qui plient sous le poids des livres. Sur le papier peint se promènent des éléphants roses dans des brassées de marguerites."
Kit est jeune, beau, a des petites amies, fait des études de médecine, transporte des macchabées et joue au journaliste pour gagner les sous qu'il dépense en CD et en concerts. Tout ça à Alekseïev, une petite ville de province. Ce destin tout tracé bascule lorsqu'il rencontre Diane, une jeune peintre tourmentée comme il se doit...
Mon avis :
Kit, 20 ans, est un étudiant en médecine qui officie de temps à temps à la morgue afin de gagner un peu d’argent. S’il aime le domaine médical, il s’épanouit énormément dans les livres et combine son emploi un peu morbide avec le métier de pigiste pour un journal. Ainsi, il vit de ses deux passions. On peut le dire, même si sa vie n’est pas une vie idéale, elle n’est pas mauvaise pour autant. Jusqu’à ce qu’il rencontre Diane. Une rencontre bouleversante. En effet, la jeune femme va l’entraîner dans sa folie légèrement suicidaire et l’amener à réfléchir à la vie, à ce qu’elle représente et ce que nous pouvons en faire. Concluant son récit avec trois fins dans lesquelles la réalité et la fiction - mais aussi le rêve - sont liées, il n’est pas aisé de deviner la fin réelle.
Alexeï Oline nous attrape et nous plonge dans son récit, plus précisément dans la tête de Kit. Ce dernier se trouve dans un asile et afin de nous expliquer pourquoi, il remonte le temps (et pour cela, le titre est bien choisi). Avec cette histoire, l’auteur désire mettre en avant une jeunesse russe qui doit vivre avec les fantômes du passé, une jeunesse qui cherche à s’émanciper, à vivre selon ses propres règles. L’alcool et la drogues coulent à flots dans les clubs, une façon d’oublier son triste travail. L’histoire en elle-même n’est pas extraordinaire : un garçon qui rencontre l’amour, un amour qui le détruit et l’amène à réaliser des actes horribles ; pas de quoi se pâmer ! Non, ce qu’il faut retenir de La machine de la mémoire, c’est le style d’écriture mais aussi le plongeon que nous réalisons grâce à cet habile mélange du réel et de la fiction.
Le rythme est crescendo, plus on tourne les pages, plus il s’accélère et plus il nous séduit. Une intrigue somme toute banale, mais qui par le condensé de ses rebondissements devient sombre, une sorte de nébuleuse dans laquelle se perd le héros. Et dans laquelle nous nous perdons nous aussi lecteurs ! Car si Diane attire Kit dans son monde, elle nous entraîne dans son sillage à tel point que l’on ne peut décrocher. C’est bien simple, en quelques heures seulement j’ai lu le roman.
La musique a aussi une place importante dans ce roman. Et pourtant, Kit n’est pas musicien ! Elle rythme à sa façon le récit ; au gré de ses sorties, Kit nous informe de ce qu’écoutent les jeunes russes aujourd’hui : du rock, du hard rock et du punk. Le rock est essentiellement américain à la différence du hard-rock qui lui est russe (on ne le connait donc pas) ; mais il ne s’agit pas du rock récent, absolument pas ! Kit et ses amis écoutent ce que j’appelle le bon vieux rock : Nirvana, Radiohead, … Alors oui, on peut penser que c’est le genre de musique qui convient au récit puisqu’elle représente - selon les clichés - les jeunes rebelles, contestataires, drogués ; et c’est certainement ce qu’a souhaité l’auteur. Car de toute évidence, avec cette historie, il nous expose la vie d’un jeune russe (mais qui doit être semblable à beaucoup d’autres) qui a des rêves plein la tête mais qui ne possède pas forcément les moyens de les réaliser. Ou qui à trop se poser de questions, ne parvient pas à voir le côté positif de la vie. Kit est un personnage pessimiste mais amusant, dont l’humour décalé plaît. Diane est son contraire. Si l’on fait abstraction de ses tendances morbides et suicidaires, mais aussi de certaines de ses idées saugrenues, elle tente de voir le bon côté de la vie et ne cherche qu’à la vivre à fond. Sans connaître le détail de l’histoire, juste avec ces quelques lignes, on pourrait penser qu’elle lui fut envoyée pour lui permettre de moins réfléchir, de profiter de la vie sans chercher à en masquer ses défauts. Sa théorie de l’amour ? "L’amour c’est une chose ; la passion c’en est une autre : ils ne se croisent pas ! L’amour est toujours dans la construction, alors que la passion est destructrice." Un avertissement ?
La plume d’Alexeï Oline est fluide, construite et agréable. Des phrases courtes qui donnent au récit un rythme harmonieux. J’ai beaucoup aimé ses réflexions, ses interrogations ("Tu ne t’es pas demandé ce que deviennent les personnages dès que leur créateur a mis le point final à la dernière ligne du roman ? Ils meurent ou ils vivent ?"), cette espèce de naïveté qui transparaît mais qui en même temps est très mature, comme s’il avait réellement réfléchit aux différentes interrogations qui parsèment son histoire.
Un grand merci aux Éditions de l’Aube pour cette deuxième découverte de la littérature russe ! N’hésitez pas à la découvrir, d’autant plus que son prix est tout petit : 8€ !
Note: 15/20
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